Peintures et mosaïques de l'Antiquité
Blog réalisé par les étudiants de licence 2 d'histoire de l'art de l'Université de Bordeaux Montaigne
(sous la direction de leurs enseignantes, Mme Fröhlich et Mme Weber-Pallez)
La représentation du théâtre dans la mosaïque
Dès le IVe siècle avant J.C., le théâtre romain commence à prendre de l’importance. Au début de l’Empire, seulement 2 jours de théâtre par an sont accordés aux citoyens, tandis qu’à la fin de l’Empire 52 jours par an sont dédiés aux représentations théâtrales et au cirque.
À partir du IIIe siècle, la mosaïque antique voit ses sujets évoluer et s’enrichir. Le mécénat des notables dans la cité y contribue : il tend de plus en plus vers l’organisation de divertissements. La mosaïque renseigne alors à la fois sur la vie publique, la vie privée et la vie socio-culturelle.
Le théâtre revêt une importance à la fois intellectuelle et sociale, marque de savoir mais également symbole d’aisance financière et d’hellénisation. En effet, le monde romain antique absorbe la Grèce dans son expansion et se nourrit de ses influences. Le théâtre rythme le quotidien des habitants du monde greco-romain, et il est intéressant de voir comment cela se ressent à travers la mosaïque.
Nous allons donc nous intéresser à différentes mosaïques dans l’optique d’illustrer cette influence. Les mosaïques que nous allons étudier proviennent principalement de maisons privées car la maison était dans l’antiquité un des seuls lieux ornés de mosaïques, principalement pour la décoration de l’andron, la salle de banquet réservée aux hommes. De plus, il y a très peu de représentations théâtrales figurées aux époques qui nous intéressent, elles se limitent à quelques scènes connues issues d’un répertoire restreint.
Les oeuvres étudiées sont donc :
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Mosaïque des acteurs, Pompéi, IIIe siècle avant J.C.
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Eros sur un tigre, Maison du Faune, IIe siècle avant J.C.
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La visite chez la magicienne, Discorde de Samos, Villa de Cicéron, 60 après J.C.
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Le poète et son acteur, Tunisie, IIIe siècle après J.C.
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Les musiciens ambulants, IIe siècle avant J.C.
Afin de savoir si la représentation théâtrale dans la mosaïque greco-romaine reflète une réalité, il faut dans un premier temps chercher à connaitre la représentation du théâtre à Rome. Dans un deuxième temps, la représentation théâtrale au service des élites. Enfin, il est important de s’interroger sur quelle est la véritable réalité historique de cette représentation.
I . Le théâtre à Rome
La Mosaïque des acteurs a été retrouvée à Pompéi dans la Maison du Poète Tragique. Sa datation est incertaine : elle se situe entre le IIIe siècle avant J.C. et la période flavienne au Ier siècle après J.C. Elle présente une troupe d’acteurs, au nombre de sept, en train de se préparer pour la représentation d’un drame satirique qui conclut la trilogie du théâtre grec classique. La technique de l’opus vermiculatum a été utilisée. Elle est polychrome et utilise un traité plutôt tridimensionnel.
L’emblema est au centre d’un grand labyrinthe de méandres noir et blanc.
Un seul personnage est assis. Il porte une barbe et fait face à deux acteurs qui dansent au son de la double flute jouée par un quatrième personnage. Ses traits distinctifs pourraient faire de lui le maitre de chœur (coryphée) et peut-être le maitre de l’oeuvre elle-même, car sa barbe et sa position lui confèrent une certaine sagesse. Les deux acteurs de profil qui semblent plus jeunes, jambe et bras droits en avant, sont donc en plein mouvement. Ils sont vêtus de peaux de chèvres. Le joueur de flute double, de face, porte un costume et est coiffé d’une couronne de lierre et d’un masque. Au troisième plan, deux personnages sont presque habillés, un petit personnage au bonnet conique aide un acteur à enfiler son long costume, c’est certainement un esclave. Des poils semblent recouvrir la tunique. Il s’agit peut-être de la tenue d’un silène. Trois masques sont présents sur scène. L’un plutôt blanchâtre, les yeux tombants et la bouche grande ouverte, celui de la tragédie et l’autre, une longue barbe grisâtre, les yeux écarquillés semblerait être celui d’un silène.
À l’arrière-plan, deux colonnes ioniques divisent l’espace. L’entablement comporte une frise de vases d’or colorés et de statuettes d’Hermès orangées, peut-être une référence à un matériau tel que la terre cuite utilisée dans la statuaire italique. Hermès est vêtu d’un manteau tel un dramaturge athénien du IVe siècle avant J.C. Cette architecture est une référence au portique ionique d’un théâtre (porticus post scaenam). Elle est décorée de boucliers dorés, de couronnes et de rubans.
La matérialisation de la scène théâtrale et de la troisième dimension est suggérée par les deux piliers qui scandent l’espace de chaque coté. La perspective n’est pas réellement maitrisée mais la tentative d’utiliser différents plans pour jouer sur la profondeur peut donner l’impression au spectateur d’être en face d’une certaine vérité.
Cet argument est renforcé par la grande gamme de nuances chromatiques. Ici, la couleur est utilisée au détriment du trait. Les zones d’ombre et de lumière mettent en volume chaque personnage. Une influence de la peinture se fait ressentir. Certaines sources indiquent qu’il pourrait s’agir de la copie d’une peinture du IIIe siècle ou de la fin du IVe siècle avant J.C. La riche décoration de ce portique indiquerait peut-être que cette mosaïque eut une fonction d’ex voto, offerte en l’honneur d’une victoire lors d’un concours de théâtre.
Cette représentation pourrait, de plus, évoquer le plaisir, la délectation et surtout l’amour du théâtre. La présence du silène faisant partie du cortège dionysiaque et l’écho au drame satirique prescrivent l’idée d’hellénisation qu’implique la représentation théâtrale dans cette mosaïque.
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Mosaïque des acteurs, Pompéi, IIIe siècle avant J.C.
Le poète et son acteur est une mosaïque trouvée à Sousse en actuelle Tunisie. Elle date du IIIe siècle après J.C. En opus vermiculatum, elle est composée d’un médaillon d’un diamètre de 1,31 mètre. Deux personnages sont représentés, l’un debout au premier plan tient un masque dans la main droite et l’autre est assis à l’arrière-plan.
Le tondo est entouré de motifs géométriques en trompe-l’œil, motifs souvent utilisés durant la période hellénistique dans les mosaïques grecques. Le médaillon au fond blanc contraste avec les motifs polychromes. La composition des cubes en perspectives et les couleurs alternées jaune et marron produit un effet optique de tournoiement. Le regard est ainsi totalement guidé vers la scène.
L’un des deux hommes est installé avec la jambe droite par dessus l’autre, le bras droit venant soutenir son menton. Contrairement à son voisin, ses yeux sont ponctués de blanc, ce qui les met en valeur et contraste avec ses pupilles noires. Il s’oppose au second protagoniste. En effet, les nuances de couleurs sont plus présentes et installent un petit froncement de sourcil. Il observe le spectateur avec un regard pénétrant qui traduit un air méditatif. Un masque à sa droite posé sur une table, les yeux tombants, la bouche ouverte, est le symbole de la tragédie. Il reflète le genre théâtral de l’auteur. Devant lui se trouve un coffre cylindrique contenant des rouleaux, surement des œuvres qu’il aurait pu écrire.
La figure assise a une barbe alors que l’autre est plutôt imberbe et semble plus juvénile. La pilosité plus exacerbée de l’homme et sa position méditative désigne qu’il s’agit d’un penseur et donc ici du poète. Il tient par ailleurs un parchemin dans sa main gauche, un élément qui renforce cette théorie.
Le personnage du premier plan est quant à lui accoudé à une sorte de pupitre. Son expression est neutre, il regarde le public. Il tient un masque qui indique sa profession d’acteur.
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Le poète et son acteur, Tunisie, IIIe siècle après J.C.
Dans le triclinium de la Maison du Faune se trouvait une mosaïque représentant dans un emblema Dionysos ou Eros en train de boire dans une canthare d’argent assis sur le dos d’un tigre. Eros sur un tigre mesure 1,63 mètre sur 1,63 mètre.
Pour certains, la scène renverrait à un épisode où Dionysos, parti en Inde, a été ressuscité sous les traits d’un enfant ailé. Nous distinguons une couronne de lierre et de pampre sur sa tête. L’animal aussi semble posséder une couronne. Le tigre a la patte posée sur un thyrse, sa langue est pendue. Peut-être veut-il profiter des plaisir du vin ?
La bordure intérieure qui encadre l’emblema comporte une guirlande de fruits, de feuilles et de masques de théâtre. La bordure extérieure est ornée d’une frise de vagues stylisées. Nous pouvons remarquer que les rinceaux sont traités ici avec un certain réalisme. Le trait disparaît pour laisser place à la polychromie qui, grâce à sa richesse, forme le modelé.
Une mosaïque d’entrée entre le vestibule et l’atrium représente aussi un feston végétal accompagné de masques de tragédie. Nous pouvons remarquer une couronne de feuilles et de fruits qui comporte des anneaux comparables aux couronnes des princes hellénistiques. Les masques ont les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, les orbites creuses. Ils portent une masse de cheveux sur leur front appelée onkos. Ce sont des masques tragiques du monde greco-romain. Ces images proviennent d’une thématique dionysiaque. Certains pensent que les propriétaires auraient représenté leurs origines mythiques. Les masques tragiques peuvent rappeler l’organisation de spectacles auxquels l’un des membres de la famille s’adonnait. Ils évoquent aussi l’univers du théâtre dont l’origine est rattachée à Dionysos.
La tragédie classique s’effectuait au sein des palais royaux. Nous pouvons donc penser que cette mosaïque se trouvait dans la maison d’un riche commanditaire. D’autant plus que cette mosaïque se trouvait dans la Maison du Faune à Pompéi qui était l’une des plus grandes demeures de la ville.
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Eros sur un tigre, Maison du Faune, IIe siècle avant J.C.
Les archéologues ont découvert deux mosaïques datant pour l’une de la fin du IIe siècle avant J.C. et pour l’autre de 60 après J.C, Les musiciens ambulants et La visite chez la magicienne. Elles se trouvaient dans le grand déambulatoire d’une des parties luxueuses de la maison de Cicéron à Pompéi. Il y avait deux panneaux figuratifs de taille réduite à l’intérieur de deux ouvertures comportant un grand pavement de mosaïque blanche avec pour bordure un méandre noir, blanc, jaune, rouge et bleu.
Les musiciens ambulants, mesurant 43x41 centimètres, présente quatre musiciens ambulants. Cet emblema est bordé de marbre et d’un méandre noir et blanc. Les trois personnages de gauche sont de trois quart ou de profil, ils regardent face à eux. La position du personnage central, légèrement courbé en avant, genoux discrètement pliés, bras vers l’avant, semble exprimer le mouvement. Le dernier personnage de face vient renforcer cette idée. En effet, il a un pied qui est sur le point de se décoller du sol et ses bras font un mouvement vers la droite. Il tape sur un tambourin. Ils sont en pleine action et semblent avancer sur un trottoir tout en jouant de leurs instruments. Ils se dirigent vers la droite où se trouve la porte entrouverte d’une maison.
Plusieurs types de musiciens sont identifiables. Le joueur de tambourin (kleinias ?) possède un nez aquilin et un front plissé, sans doute une référence au parasite (parasitos), l’un des masques de la Comédie Nouvelle. Le joueur de cymbale (lysias ?) est marqué par un nez proéminent et une mine florissante, c’est le flatteur (kolax). La joueuse de flute double pourrait bien être la courtisane au bandeau (diamitros eitera) et un enfant sur la gauche, non masqué, vêtu d’une tunique courte tient une corne entre les mains (esclave Permenide ?).
Les gestes exagérés des corps plus ou moins dansant manifestent peut-être comme Carl Robert l’a suggéré, qu’il s’agit d’une scène de procession du culte de Cybèle. Les mêmes personnages apparaissent dans une comédie de Ménandre, poète grec, La Possédée (Theophoroumene).
Les nuances de couleurs des tesselles permettent de définir les volumes et le décor de la rue. Le travail des ombres permet de déceler la limite entre le sol et le mur de l’arrière-plan, même si les deux zones sont faites d’une même couleur. La porte grise sur la droite participe à cette distinction. La polychromie, les plis des tuniques et le clair obscur influencent largement le modelé des personnages. Cette représentation est pleine de vie.
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Les musiciens ambulants, IIe siècle avant J.C.
La visite chez la magicienne est une mosaïque de 29x38 centimètres ou 42x 35 centimètres.
Trois personnages masqués sont assis autour d’une table ronde à patte de lion. Deux jeunes et une plus vieille avec un air louchon. Un dernier personnage est représenté de profil, sur la droite. Sans doute un jeune serviteur, il ne porte pas de masque. Il est partiellement caché par un pan de mur au premier plan.
Au centre une femme est supposée être la fausse vierge Plangon. A droite c’est la vieille hetaïre Philainis et à gauche sa fille Pythias elle est aussi modélisée comme une courtisane. Ces deux protagonistes sont invitées par le personnage central.
L’individu de gauche est assis sur un kliné enduit d’un tissu à damier et de coussins polychromes et brodés.
Sur la table il y a deux vases en argent et un rameau. Ces objets laissent penser que la confection d’un philtre d’amour est sur le point d’être réalisé, d’où le nom donné à la mosaïque.
La scène principale est encadrée par un décor comportant au premier plan une volée de trois marches ornées de frises. Les bandes de couleurs de l’arrière plan pourraient faire penser à un décor de théâtre. La présence des marches conforte cette idée. Elles mettent aussi en relief la tridimensionnalité grâce aux pans de murs qui encadrent la scène.
Le travail sur la profondeur, le décor et le modelé des corps accentuent l’effet que pourrait avoir le spectateur face à la contemplation d’une pièce de théâtre. En effet cette mosaïque renvoie également à une pièce de Ménandre, Les femmes au petit déjeuner (Synaristosai).
Les deux mosaïques ont été exécutées par le même mosaïste. Chaque tableau comporte une inscription qui stipule que le maitre d’œuvre est Dioscoride de Samos.
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La visite chez la magicienne, Discorde de Samos, Villa de Cicéron, 60 après J.C.
La même technique est utilisée, l’opus vermiculatum. Nous pouvons remarquer le même type de bande de couleur sur l’arrière plan comme décor de théâtre. Les couleurs sont plus tenues et plus légères dans Les musiciens ambulants et plus vives et riches pour celle de La visite chez la magicienne. Il est probable que Dioscoride se soit inspiré de peintures de deux peintres différents de la première moitié du IIIe siècle avant J.C.
La couleur est l’élément principal de la représentation. La polychromie est riche et permet de faire disparaitre le trait pour laisser place au modelé. Le clair obscur est important. Ces mosaïques sont dans la continuité de la peinture et de la tradition hellénistique par le sujet et le traitement des personnages. Dioscoride introduisit les effets d’ombres projetées suivant une convention d’atelier qui imagine les figures vues à la lumière du soleil.
Ce traité assez réaliste pouvait peut-être pousser le spectateur à imaginer être dans les conditions de la représentation théâtrale.
Les archéologues ont découvert deux mosaïques datant de la fin du IIIe siècle avant J.C. Elles disposent d’inscriptions nommant les personnages et le titre des pièces, ce qui nous confirme le parallèle avec les pièces de Ménandre.
Il est possible que ces mosaïques aient été offertes comme ex voto après la victoire de Ménandre dans un concours.
Ces mosaïques témoignent de la richesse du propriétaire et de la fortune du théâtre de Ménandre à l’époque romaine.
II. Quelle représentation de la réalité théâtrale ?
La véritable connaissance des pièces représentées en mosaïque à Rome, uniquement grecques, passe souvent au second plan au profit du soucis de paraître du commanditaire. Celui-ci tend généralement à primer sur les vrais connaissances du maitre de maison, ou du mosaïstes, d’où la présence parfois d’inscriptions qui identifient la pièce, la scène et les personnages sur la mosaïque.
Il faut noter qu’il y eut l’usage dans le théâtre antique d’annoncer le nom de chaque personnage en début de nouvelle scène. Ce rappel pourrait être également à l’origine de l’inscription des prénoms sur certaines mosaïques.
Le soucis de paraitre ne doit pas être confondu avec de la vanité mais bel et bien avec une véritable soif de savoir de la part du commanditaire, qui cherche à travers ces représentations une plus grande érudition, et répond à une certaine admiration du monde grec à cette époque. Le théâtre est synonyme de grec pour l’élite romaine et satisfait pleinement leur recherche d’hellénisme, d’où la présence de pièces grecques dans les oeuvres en mosaïques ayant trait au répertoire théâtral. On peut citer comme exemple la mosaïque des Musiciens ambulants ou La visite chez la magicienne issues, comme vu précédemment, de la pièce La Possédée de Ménandre, auteur grec, et qui se retrouvent pourtant dans la Maison de Cicéron à Pompéi.
Malgré le fait que seules des pièces issues du répertoire grec soient représentées dans les mosaïques, les pièces les plus jouées à Rome étaient des pièces romaines.
Il reste assez difficile d’accorder un réel crédit historique à ces représentations du théâtre dans les mosaïques. Alors que certaines peuvent refléter une pièce grecque, le commanditaires était probablement romain. La représentation d’une scène peut dépendre du mosaïste, s’il a déjà assisté à une représentation, ou peut varier selon son interprétation. Enfin, certains éléments présents en mosaïques sont le reflet ou l’adaptation de pratiques orales liées au théâtre ou de pratiques picturales dues à la copie d’une oeuvre peinte adaptée en mosaïque.
Cette influence de la peinture se ressent principalement à travers l’utilisation de la couleur. La polychromie, riche et variée, la disparition du trait au profit du modelé et l’utilisation du clair obscure rattachent les mosaïques étudiées à une prolongation de la tradition picturale. Le travail sur les personnages permet de les rendre plus vivants. Le décor et la profondeur que les mosaïstes essaient de rendre contribue grandement à cette vivacité. Les jeux d’ombre et de lumière donnent plus de volume, et donc de réalisme, au personnage.
La reconnaissance de l’iconographie théâtrale en mosaïque passe par la figuration d’archétypes, tels l’idiot, le voleur, le rusé, le vantard… Ainsi que par des couleurs et/ou des formes symboliques.
De cette façon, le spectateur reconnait directement la pièce dont il question, la scène évoquée, son sens, et même éventuellement d’une représentation réelle à laquelle il aurait assisté.
De plus, il est aisé de savoir s’il s’agit d’une pièce sur les grecs ou les romains car les costumes des acteurs s’adaptent : si c’est un sujet grec, les costumes sont grecs alors que si le sujet est romain, les costumes sont romains. Les mosaïques nous permettent parfois d’avoir un regard sur l’envers du décor théâtrale, telle la Mosaïque des Acteurs de la Maison du Poète Tragique à Pompéi au IIIe siècle avant J.C., qui nous montre la préparation des acteurs de théâtre : un musiciens est en train de jouer, un acteur au premier plan semble saisir un masque et un autre acteur à l’arrière plan est en train d’enfiler son costume.
L’époque Impériale à Rome voit un véritable engouement pour les masques. De fait, les masques peints, sculptés et modelés, voire moulés, se multiplient de façon considérable, de même que leurs représentations, notamment dans la mosaïque.
Toutefois il faut nuancer cette influence en mosaïque puisque les masques servent généralement d’éléments accessoires dans la scène ou de motifs décoratifs plus que de sujet de la mosaïque à proprement parler.
Dans la mosaïque d’Eros sur un tigre de la Maison du Faune au IIe siècle avant J.C., les masques font parties intégrante de la frise qui borde l'emblema. De la même façon, celle du Poète et son acteur du IIIe siècle après J.C., montre les masques comme accessoires dans la scène, ils n’en sont pas le centre. Ce sont les deux personnages qui importent le plus, les masques marquent plutôt leur rapport au monde du théâtre.
Les masques sont reliés aux registres qu’ils illustrent, comme les acteurs, par des éléments qui leur sont propres. Les couleurs ont aussi leur importance dans la reconnaissance des personnages, par exemple le blanc pour les femmes ou le brun pour représenter un homme. Pour reprendre l’exemple de la Mosaïque des Acteurs, l’homme barbu assis semble se saisir d’un masque de femme : celui-ci est blanc et avec de longs cheveux. Malgré que ce masque paraisse relativement grand par rapport à la taille de ce personnage, ces proportions répondent à la nécessité du masque de l’acteur d’être vu de loin, entre 18 et 90 mètres selon le rang occupé par le spectateur.
Bien qu’au départ assez apprécié et bien considéré, le statut de l’acteur se dégrade avec le temps, jusqu’à être à Rome considéré comme un métier méprisable et avilissant. Il était notamment très mal vu qu’un citoyen monte sur scène. Celui-ci se trouvait par la suite méprisé, presque déconsidéré en tant que citoyen. A la différence, les esclaves étaient autorisés à jouer. Toutefois, il faut noter que certains acteurs réussirent grâce à leur talent à susciter un certain respect de la part de personnages importants.
De plus, les auteurs jouaient parfois eux-mêmes dans leurs pièces, tels Eschyle ou Sophocle, et étaientt rémunéré en tant que tel. De ce fait, dans la Mosaïque du Poète et son Acteur, les deux personnages sont représentés et deux masques. Cela peut-être une allusion à cette polyvalence du poète : il joue et il écrit, d’où la présence de masques et de rouleaux autour des personnages.
III. Mise en scène théâtrale au service des élites
Dans son Propos de Table, Plutarque précise dans un dialogue que l' « on s'imaginerait plus un banquet sans vin que sans Ménandre. »
En premier lieu par l'iconographie dionysiaque et par la récurrence de topoï (masques, thyrses , instruments de musique…) le banquet a presque toujours été étoffé par la présence bachique. Le théâtre, don de Dionysos à l'homme, ne peut que s'insérer dans la continuité de ces décors.
En effet, depuis la fin de l'époque hellénistique, la coutume de donner des représentations privées lors des banquets était fréquente, ou du moins des fragments étaient lus ou chantés. La mosaïque figurant une scène de théâtre trouvait tout aussi bien sa place lors de ces réceptions. Dans la Villa de Cicéron Les musiciens ambulants (de La Possédée de Ménandre) représentant la procession musicale des trois personnages et de leurs instruments s'associe bien à la culture du banquet en évoquant danse et musique.
Outre sa suggestion festive, cette mosaïque appelle le savoir et le plaisir du spectateur. Pour reprendre Les musiciens ambulants, les personnages figurés permettent la reconnaissance de l’œuvre elle-même. Les figures portent les masques de la Comédie Nouvelle : le joueur de tambourin est le parasitos, le joueur de cymbale le kolax (flatteur) et la joueuse de flûte double est la courtisane au bandeau. La scène seule, paroxystique de l'action, évoque à l'invité la pièce tout entière ainsi que la culture du propriétaire.
Le riche propriétaire a la volonté d'une mise en scène royale dans le décor de sa maison. Les différents styles picturaux pompéiens témoignent à eux seuls des goûts fastueux qu'a « l'aristocrate » du monde greco-romain pour sa maison.
Le style architectural et ses trompes-l’œil évoquent le décor de théâtre. De plus, dans la maison du Faune, la mosaïque figurant Eros sur un tigre rend la présence dionysiaque palpable dans le triclinium. La mise en scène décorative tend vers une théâtralité.
Pour ce qu'il en est des mosaïques qui figurent la représentation même d'une pièce, il s'agirait d'une tendance à la connaissance des classiques. Comme le propriétaire assouvi son érudition par la philosophie, il fait de même avec son penchant pour la dramaturgie grecque. Il s'agirait moins d'un art philhellène que d'un gout pour le théâtre. Ménandre est bien plus présent que Sophocle ou encore Eshyle dont les pièces étaient souvent représentées sur des céramiques.
Les deux mosaïques de Ménandre dans la Villa de Cicéron sont presque des prototypes. On les retrouve en copies, par exemple à Mytilène, où la composition diffère. L'orientation des personnages et leurs regards varient en fonction, sans doute, d'un ensemble de mosaïques qui associeraient plusieurs scènes entre elles.
Outre la représentation de la scène elle-même, la Mosaïque des acteurs et musiciens préparant un spectacle de la Maison du Poète Tragique à Pompéi figure l'envers du décor : les coulisses. En s'éloignant de l'interprétation où le propriétaire était lui-même un poète, ce choix de sujet préciserait le goût pour la connaissance et la vérité de l'érudit.
Conclusion
Certaines des mosaïques qui représentent des scènes de théâtres, des acteurs et des masques font référence à des auteurs de prédilections comme Ménandre, poète grec. L’influence philhellène se fait donc nettement ressentir et permet de montrer la culture du propriétaire, s’il lisait et s’il allait au théâtre.
La mosaïque de seuil dans l’entrée de la Maison du Faune renforce cette notion. Le client était directement confronté avec une mosaïque aux influences dionysiaques indiquant ainsi le gout certain pour la culture et la tragédie grecque classique.
Le gout pour le monde et la culture grecs dans le monde romain passe par l’illustration de pièces de théâtre grecques alors que les seules pièces représentées au théâtre à ce moment-là sont romaines. De plus, ce mosaïques accorde un certain crédit, une certain reconnaissance aux acteurs qui étaient au départ assez dévalorisés à Rome.
La représentation théâtrale dans la mosaïque greco-romaine s’est développée pour finalement figurer la représentation de la pièce elle-même. Au primat du décor s’est substitué celui de la figuration. Inhérent au contexte dionysiaque, le gout pour le théâtre répond aux besoins de festivités des banquets. Ces mosaïques témoignent alors du gout et du savoir qu’a le propriétaire pour le théâtre.
De la même manière que Dionysos se contemple dans un miroir et voit la pluralité de son être, le théâtre se reflète sous divers aspects a travers la mosaïque.
Mais certains passionnés de théâtre faisaient seulement représenter des acteurs en costume de scène comme dans la villa de Cicéron à Pompéi ou les scènes de coulisses dans la Maison du Poète Tragique. La représentation théâtrale dans les mosaïques gréco-romaines indiquerait-elle donc seulement un gout pour le théâtre ?
Bibliographie
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Umberto PAPPALARDO, Rosaria CIARDIELLO, Luciano PEDICINI, Mosaïques grecques et romaines, Paris, Citadelle et Mazenod, 2010
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Florence DUPONT, L'orateur sans visage : essai sur l'acteur romain et son masque, Presses universitaires de France, 2000
Philippe BRUNEAU, La mosaïque antique, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1987
« Ménandre », http://www.universalis.fr/encyclopedie/menandre-342-292/
« Dioscoride de Samos », http://www.universalis.fr/encyclopedie/dioscoride-de-samos/
« Les mosaïques », http://www.soussemuseum.tn/les-mosaiques/
« Les acteurs ; comédiens », http://www.cosmovisions.com/Acteurs.htm
« Les acteurs chez les grecs et les romains », http://www.espacefrancais.com/les-acteurs-chez-les-grecs-et-les-romains/
Clara Lassudrie-Duchêne
Anaïs Retouret
Thibaut Morand